Il est 11h00, 16h00, 19h00. Il est minuit.
J’ai soif.
L’ascète, le vertueux boirait de l’eau. Un grand verre d’eau, fraîche, de source. Il se désaltèrerait, finirait par un « Haaaaa ! » ostentatoire, nous giflant de sa satisfaction humide, H2Oisée.
Je n’en suis pas. Je suis Catalan et le repas qui s’annonce, celui qui se termine méritent mieux. La promesse des saveurs, la joie pleine de rires, la chaude amitié échangée méritent mieux : le frisson.
Celui qui chatouille les orteils, vibre dans le dos et chamboule le cortex. Celui qui émeut le cœur et remplit les poumons d’air … un jour de Tramontane. Le frisson qui résonne dans les racines et jusqu’au feuilles du grand peuplier, du bel olivier, du vieux chêne. Le frisson qui résonne dans mes racines : le Roussillon.
J’ai soif de l’essence de ce lieu qui m’imprègne, du vent et du soleil, du décor de montagne et de mer, du travail des alchimistes de cette terre qui savent faire du vin.
… un vin doux.
Doux comme le baiser d’une belle Catalane. Chaud comme le soleil brûlant derrière les carreaux un jour glacial de février. Savoureux et complexe comme la langue de nos « avis » (grands-parents).
… un Rivesaltes ambré.
Là où Steven, cinéphile hollywoodien, cherche l’insecte vampire de dinosaures vengeurs dans la résine fossile, le Catalan assoiffé – « povret ! » – voit dans l’ambre la couleur de l’élixir espéré. Le jaune lumineux de miel. L’orange caramélisé légèrement acide. Le marron de café, de noix grillées, de cigare. La couleur d’un goût.
… un « plus tout jeune », 1987.
D’une époque révolue, d’un siècle dépassé par la technologie. Du temps où les écrans n’étaient pas tactiles mais nous si, encore. Toucher ce cep tordu, mal fichu que les mains rudes cajolent, courbent, redressent, taillent. Toucher enfin la délicat récolte, les grains de promesses. Toucher le bois, le chêne chaud du tonneau qui garde le jus des plaisirs.
Auteur : Charles Payrou